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 RAYNA RAYKOUM

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MessageSujet: Re: RAYNA RAYKOUM   RAYNA RAYKOUM - Page 9 EmptyMar Déc 02, 2008 9:37 am

Portrait d'Algériens : 1°: l'Assis/édition du 1er décembre 2008

par Kamel Daoud
Il s'agit d'une espèce d'hommes improductifs que nous a laissés l'intermède des années 80 à 90, après l'épuisement de l'élan boumediéniste. C'est-à-dire entre la fin du socialisme et le début du pessimisme mou. Du coup, il vint au monde une bonne population d'Algériens spécialisés dans le commentaire collectif sur l'état de l'Etat et ses aventures conjugales avec le vide, la banane et les kasmates et que déjà l'on pouvait croiser, jeunes, aux portes des Souk el-fellah et des daïras. Des sortes de gens qui savent qu'ils n'ont rien à faire et qui le font bien, mais mollement, sans efforts et avec l'économie dynamique des gens assis. Dans l'histoire des pays et des empires, ce genre de personnes arrive au monde lorsqu'il ne reste du pays concerné que ses automatismes amorçant le déclin.

Question : à quoi reconnaît-on un « Assis » en Algérie ? A quelques signes. D'abord, il reste assis même lorsqu'il se lève le matin. A califourchon comme ses ancêtres, même lorsqu'il est debout. Au travail il est assis. Chez lui. Au café. En pleine bousculade. Ensuite, il a la bouche large au point de parler plusieurs langues, même s'il n'en connaît qu'une seule. Puis il commente. Tout. Avec la même dérision capable de faire rouiller les métaux précieux et de faire vieillir la tôle des carrosseries. Expliquant, sans interruption, à voix basse mais traînante, l'inutilité du mouvement. De l'effort. De l'espoir quotidien. Et de toute dynamique musculaire et de toute tentative de marcher sur la Lune.

On peut trouver des spécimens de l'Assis dans les villages qui ne savent pas pourquoi ils existent, dans les villes sales et même au plus haut sommet des administrations où chacun est assis sur l'autre.

Un Assis est généralement quelqu'un qui a dépassé la quarantaine. Entre parenthèses, il faut aussi savoir que l'Assis fut brièvement jeune durant les premières années de Chadli, avant de comprendre que c'était vraiment ridicule dans ce pays. Un Assis se souvient aussi des colons qui sont partis avant sa naissance et il en parle comme on parle de ses voisins. L'Assis est inutile mais il le justifie par ce fait que le cosmos l'est lui aussi, comme la dépendance ou l'indépendance pour les gens pauvres et idiots.

Quand il a des enfants, il les considère comme un quota biologique ou des boutons sur sa veste. L'Assis est expert en politique ridicule. Il connaît tous les passants et les élus et les tarifs des corruptions dans les appels d'offres. Il lit l'avenir comme une rediffusion. Il est banal à cause de ses vêtements. Il ne va nulle part, même quand il voyage. Techniquement, c'est un désespéré mais il en surmonte la pente à reculons. L'Assis a généralement une moustache fine et un sourie sale et une chaise favorite et ses petites habitudes dans le café de son quartier. Il connaît tous les prénoms des femmes des autres et leurs horaires. Il ne supporte pas d'être seul et s'en venge sur ceux qui le fréquentent. L'Assis est rarement tenté par des engagements ou des enthousiasmes.

A la fin des années 80, il a vu venir et s'est assis pour le regarder. On peut aussi dire qu'il n'a été touché par aucun évènement et avait pitié de Liamine Zeroual et de Boudiaf dès leurs premiers jours au Pouvoir. Les journaux, il les lit mais avec un air hautain, comme de pâles imitateurs de sa propre intelligence. L'Assis croit en Dieu mais administrativement et sans excès. Il est généralement plus âgé que son propre père à cause de son pessimisme et suit l'épopée de Bouteflika avec deux ans de prévisions en avance, tellement il sait que la vie est un pneu crevé.

C'est donc le portrait de l'Assis. Il y en a des milliers et des milliers.

Ils disparaîtront un jour, le jour où le pays se développera et trouvera un travail après l'effort de la guerre contre le dernier colon. Pour le moment, ce n'est pas le cas et la vie de l'Assis sera donc longue, même si sa biographie est étonnement courte.
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MessageSujet: Re: RAYNA RAYKOUM   RAYNA RAYKOUM - Page 9 EmptyMar Déc 02, 2008 9:45 am

Portrait d'Algérien: 2- le Triste Décolonisé /édition du 2 décembre 2008

par Kamel Daoud
Vous en connaissez tous un dans vos parages : le Triste Décolonisé, qui en veut à la décolonisation parce qu'elle n'a pas abouti à l'Indépendance, mais au « travail d'arabe ». Généralement, ce genre de personne n'a pas connu la France mais ce qu'elle a laissé. Il en veut aux siens parce que même après le départ des Colons, ils sont restés des Indigènes avec des flûtes, des turbans et un urbanisme de tentes avec des troupeaux sous les cheveux. Généralement, le Triste Décolonisé est un homme appliqué qui n'aime pas les taches d'encre, qui se venge sur son sort en se penchant sur ses cahiers ou son registre, il a le vêtement propre même s'il est usé, l'écriture appliquée, préfère les passages cloutés et respecte énormément les arbres et les eucalyptus laissés par les Français dans les villages et sur les chemins vicinaux. Sa vision de l'Algérie est celle d'un gros échec que l'on peut prouver rien qu'en montrant du doigt l'état de nos routes, égouts, avaloirs et documents administratifs. Amère jusqu'à produire des citrons inutilisables et du sel rien qu'en restant assis chez lui, le triste décolonisé n'est pas un anti-nationaliste mais un nationaliste refroidi très tôt, et qui a transformé son enthousiasme bref en un procès permanent des siens. Partout, il voit ce qui est sale, ce qui est mal fait, ce qui a été détruit et ce qu'aurait pu être ce pays. Le Triste Décolonisé n'est pas à vraiment dire un francophone, ni un arabophone : c'est un silencieux. Et lorsqu'il lui arrive d'ouvrir la bouche, c'est soit pour raconter le souvenir de son village ou de son quartier à l'époque de la France, soit pour expliquer comment des voleurs de bétails ont fini maires en 1963, soit pour vous parler d'un chef de daïra qui ne sait même pas écrire une phrase sans faute d'orthographes, passibles de pendaison en 1932. La tristesse de ce Triste Décolonisé est immense, se déplaçant avec sa personne comme un nuage individuel, provoquant la mort des feuillages, l'isolement de son personnage qui ne veut pas toucher terre tant qu'elle n'a pas été bien balayée, bloqué en amont par une nostalgie impossible et irrévérencieuse et, en aval, par les évidences et les coupures d'eau. La proximité du Triste Décolonisé provoque aussi le silence de ses compatriotes et une sensation de gêne : tout le monde sait qu'il a raison de penser comme un acide, mais tout le monde sait qu'il vaut mieux ne pas le savoir. Le Triste Décolonisé lit énormément les journaux pour confirmer sa vision, n'aime pas les dépenses inutiles (contraire à l'esprit d'épargne fondateur de l'économie des Occidentaux), déteste les administrations algériennes pâles copies de l'administration coloniale, sait détecter les faux anciens moudjahidine à l'odorat et au regard, rêve de remonter le temps sans aboutir aux colons, rit jaune de toutes les autres couleurs et a horreur des discours politiques, des économies nationales fondées sur la sieste et la ruse, des infrastructures collées avec de la salive, de tous les Arabes du Golfe à Boston et du teint jaune qu'il voit sur tous les visages. Politiquement, le Triste Décolonisé est de la droite ou de l'extrême droite mais il ne creuse pas la chose vraiment. Professionnellement, il s'applique, mais avec la conviction que cela ne sert à rien.

Le seul plaisir du Triste Décolonisé est de fermer les yeux, de regarder les platanes, de s'asseoir près de l'eau et de bien écrire les lettres de réclamations ou de se souvenir des très grandes fermes d'autrefois. On n'en trouve des exemples dans les villages ex-coloniaux enlaidis par les logements sociaux, dans les villes où il connaît le nom des cafés d'autrefois, en France où ses semblables vieillissent en colère et en chacun de nous lorsqu'on nous demande un billet de 200 pour accélérer la délivrance d'un extrait de naissance.

Le Triste Décolonisé porte en lui le drame sec de juger la décolonisation comme un déboisement et le souvenir douloureux de la colonisation qui remonte à son enfance pauvre et ordonnée.
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MessageSujet: Re: RAYNA RAYKOUM   RAYNA RAYKOUM - Page 9 EmptyJeu Déc 04, 2008 9:48 am

Portrait d'Algériens: 3 - Le Croyant qui ne vous croit pas

par Kamel Daoud
Le principal trait du Croyant incrédule est qu'il n'est pas un islamiste mais ne veut pas être seulement musulman. Trop malin pour demander l'application étatique de la Chariaâ depuis des années, il applique le reste ; ablutions strictes, fréquentation de la mosquée, participation assidue aux enterrements, zèle dans la vie de son quartier, fatwa shampoing, tenue « légale » made in Medina chaque vendredi et admiration limitée pour un imam précis et la voix d'un récitateur favori capable de lui arracher des larmes et de le transformer en coton une heure par semaine.

Après la chute du FIS dans les conciergeries, la reconversion des émirs de l'AIS en exploitants de carrières de sable, il naquit à la fin des années 90 dans le dos du pays une génération entière de ce genre d'individus qui semblent attendre quelque part le bon moment, regardent le reste des Algériens comme un encombrement ou un dos d'âne entre eux et Dieu.

Des jeunes ou pas, mis en orbite confessionnelle par des chaînes satellitaires spécialisées, aguerris par les guerres perdues, versés dans le commerce du cabas, l'informel, le confrérisme ou simplement la pratique de l'assiduité comme moyen de contourner l'angoisse de l'être. On les reconnaît depuis quelque temps à cette propension à réciter des formules fatalistes de soumission au Destin, mais sur le ton monocorde de l'acquittement et avec l'oeil trop brillant de celui dont la foi procède du bon calcul plutôt que l'illumination mystique.

Le Croyant incrédule est généralement très poli avec un penchant irrésistible pour la médisance impersonnelle contre l'Etat, anti-Pepsi et anti-Coca Cola durant les ramadans, souffrant de la monogamie mais se consolant avec la polygamie céleste promise, très bon commerçant, excellent animateur des rites sociaux de circoncisions, enterrements, mariages et festivités locales. Le Croyant incrédule reste aussi un véritable répondeur automatique sur les grandes questions politiques et religieuses, sensible à la Question d'El Qods plus qu'à la question palestinienne, zélé jusqu'à produire du pétrole, soupçonneux en ce qui concerne son argent et politiquement arrêté sur un avis de rejet total des formules humaines.

L'un des gros problèmes du Croyant incrédule est la femme qu'il n'a pas ou qu'il a sur le dos, dont il rêve ou qui rêve de meilleur que lui et dont il affirme le lien causal dit évident entre ses vêtements à elle et l'invasion de l'Irak ou le manque de pluies.

L'autre gros problème du Croyant incrédule reste pourtant sa croyance : il croit en Dieu, croit que Dieu le voit partout mais pas seulement lui, mais souffre intimement, sans le savoir de ne pas croire dans le genre humain. C'est la source de son malaise le plus profond : il ne croit pas aux autres.

Il ne croit pas à leur utilité et, par ricochet, cela frappe d'inutilité sa propre existence. Pour lui, sa foi prouve la mauvaise foi des autres. Il vit sa vie avec application mais en tournant à vide, sans l'admettre, et seulement dans l'attente que Dieu rappelle tout le monde et lui donne raison à lui. Le Croyant incrédule a un sens strict et comptable des « bonnes actions » et des « Hassannates » et applique la charité sans humanisme car cela supposerait l'acceptation de la faiblesse humaine et l'admission du paradoxe de la tragédie de l'existence. Il aurait voulu que la terre soit peuplée de gens comme lui mais comme les autres existent, il se lave souvent chaque deux heures.

Physiquement, le Croyant incrédule est de bonne corpulence, souvent avec de la bedaine, il a entre trente et cinquante ans, beaucoup d'enfants, des cadres en bois avec des versets dans son salon et aime se lever très tôt car la grasse matinée rapproche de l'indolence et donc de l'incroyance. Il habite souvent les villages et encore plus souvent les quartiers HLM et LSP de l'indépendance mais derrière son existence réglée comme un remboursement attentif, il a le mal de vivre sa vie comme une corvée céleste en la colorant avec des sentiments pieux pour lui donner un sens. Trop intelligent pour être mystique, il reste peu humain pour supporter la vie comme un défi à l'absurde.

Du coup, il en fabrique de la rancune qu'il retourne vers les autres qui se contentent de vivre leurs contradictions et pas de les refuser. En fin de compte, toute la vision du monde du Croyant incrédule est le fruit d'un seul proverbe qu'il peut ne pas connaître : « rira bien qui rira le dernier ». Le Croyant incrédule ricane entre-temps, en attendant que le soleil se lève de l'ouest.

nb: Waowwwww j'en connais des tas autour de moi !merci Daoud en voilà ! en voici du teb'rad el guelb !!!
cheers cheers
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MessageSujet: Re: RAYNA RAYKOUM   RAYNA RAYKOUM - Page 9 EmptyJeu Déc 04, 2008 1:24 pm

Excellent ! Merci tata Wink
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MessageSujet: Re: RAYNA RAYKOUM   RAYNA RAYKOUM - Page 9 EmptyJeu Déc 04, 2008 7:06 pm

C'est toujours un plaisir ! faut remercier Daoud ...tu sais quoi ?entre autres ...moi j'ai adoré ces passages : Wink Wink Wink
"
-anti-Pepsi et anti-Coca Cola durant les ramadans,

-se consolant avec la polygamie céleste promise,

-sensible à la Question d'El Qods plus qu'à la question palestinienne,

-L'un des gros problèmes du Croyant incrédule est la femme

-un sens strict et comptable des « bonnes actions » et des « Hassannates"

j'ai a-do-ré!!! I love you I love you
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MessageSujet: Re: RAYNA RAYKOUM   RAYNA RAYKOUM - Page 9 EmptyVen Déc 05, 2008 3:34 pm

Parodie a écrit:
C'est toujours un plaisir ! faut remercier Daoud ...tu sais quoi ?entre autres ...moi j'ai adoré ces passages : Wink Wink Wink
"
-anti-Pepsi et anti-Coca Cola durant les ramadans,

-se consolant avec la polygamie céleste promise,

-sensible à la Question d'El Qods plus qu'à la question palestinienne,

-L'un des gros problèmes du Croyant incrédule est la femme

-un sens strict et comptable des « bonnes actions » et des « Hassannates"

j'ai a-do-ré!!! I love you I love you


et betement vrai Mad
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MessageSujet: Re: RAYNA RAYKOUM   RAYNA RAYKOUM - Page 9 EmptySam Déc 06, 2008 8:45 am

Huit raisons de ne plus parler de Chadli, Nezzar, etc.

par Kamel Daoud

Pourquoi il ne faut pas réagir à ce que dit Nezzar sur ce qu'a dit Chadli à propos de Benbella autour de Bouteflika ?

Raison une : il ne faut pas se laisser prendre. Ce débat est comme un os pour ceux qui ont la nostalgie canine de la viande. Et si vous le suivez trop longtemps, vous finirez comme eux : des gens qui ont fait l'histoire mais qui l'ont faite avec leurs pieds, sur vos têtes, pendant que vous teniez votre pantalon. Au mieux, vous finirez comme eux, riches, inquiets sporadiquement, inutiles et souffrant de marmonnements.

Raison deux : rien de mieux pour faire oublier le présent et l'avenir que de proposer une rediffusion du passé avec les mêmes acteurs, mais ridés, acariâtres, menteurs sur leurs dons et méchants comme la rouille. Faute d'une ENTV capable de nous distraire, on nous sert donc un déterrement de cadavres et un étalage de linge sale usé comme le tricot de peau d'un masseur de hammam.

Raison trois : cela ne vous apporte rien. Quand des gens comme ceux-là se mangent entre eux, cela ne veut jamais dire que vous avez quelque chose de plus à manger. Raison quatre : il y a de plus belles histoires à regarder ou à suivre dans ce pays que d'écouter Chadli expliquer que la moustache de Nezzar est en plastique. Un Div X coûte 60 dinars. Un VCD, la moitié. Une antenne parabolique, avec montage compris, coûte 1.200 dinars.

Un démo numérique coûte dans les 2.800 dinars. C'est beaucoup moins cher que ce que nous a coûté le règne de Chadli, de Nezzar, de Benbella et de Bouteflika. On peut zapper, stopper le film, changer de satellite, éteindre la télé et regarder le plafond se transformer en nuage mental. Mais avec les gens précités, on ne peut rien, ni voir un avenir, ni s'expliquer utilement le passé.

Raison cinq : il s'agit encore une fois d'une histoire fausse, inspirée de faits véridiques qui concernent énormément de morts mais si peu de vivants, qui ne s'en souviennent plus que par les journaux.

Raison six : vous avez chaque matin sûrement mieux à faire que d'écouter jacasser les cimetières et, de toute façon, on vous racontera la même chose dans vingt ans sur le règne de Bouteflika et la transformation de votre pays en une autobiographie (Bouteflika expliquant à Tlemcen que c'est Zerhouni qui a..., lequel rétorquera que c'est Chakib Khelil qui le premier a..., etc.).

Raison sept : dans le tas de ce verbiage exponentiel, vous aurez aussi sûrement remarqué que personne n'a songé à vous présenter ses excuses ou demandé votre pardon pour la matraque, la SM, le Souk el-fellah, la plaquette d'oeufs ou l'autorisation de sortie. La réconciliation est toujours à sens unique : de vous vers vos bourreaux et jamais dans le sens contraire.

Raison huit : si vraiment vous tenez à acheter votre journal, remonter le temps sur le dos des mules de la ligne Morice et écouter ces gens-là, intéressez-vous à Zeroual : il ne dit rien, ne se voit nulle part, n'ouvre plus la bouche. On ne peut faire mieux question d'hygiène et on ne peut faire mieux pour vous aider à vous concentrer sur votre dur présent national, forcé à un mariage sans consentement mutuel.
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MessageSujet: Re: RAYNA RAYKOUM   RAYNA RAYKOUM - Page 9 EmptyDim Déc 07, 2008 9:20 am

Portrait d'Algériens: 4- L'Intellectuel allongé

par Kamel Daoud
En Algérie, la mission d'un intellectuel est claire : partir le plus vite possible et revenir seulement de temps en temps pour confirmer ses propres conclusions sans appel. Cela n'a rien à voir avec la langue mais avec la bouche : ni francophone, ni arabophone. Seulement rouillé et marqué par un coucher de soleil permanent ou une synthèse désastreuse. Lorsqu'on est un intellectuel capable de réfléchir autrement que par des versets, la bouche ne sert pas qu'à manger mais à mâcher avec splendeur le monde en le mordant à la racine. Passons donc et revenons à l'essentiel : lorsqu'un intellectuel algérien n'arrive pas à partir, il n'arrive plus à comprendre par la suite et ne produit plus que des bulles, quelques opinions et, au mieux, des enfants moins cannibales. Sans mission précise dans un pays qui le remplace par des proverbes ou simplement par des haussements d'épaules et le fatalisme mécanique, incapable de peser sur les décisions de l'Etat comme il se doit pour tout éclaireur, coincé entre le maquis et le butin avec ses cahiers d'écolier, inutile entre la mosquée et le cliché, réduit à médire alors qu'il aurait voulu étinceler, il va vivre dignement courbé sur sa terre.

S'il est bon marchand, l'intellectuel algérien arrive parfois à faire la part des choses et s'insérer dans le circuit général de la démission : il retournera sa lampe vers l'acquisition d'un bon logement, quelques enfants éduqués à porter des gangs en attendant que le pays se civilise et que son peuple porte des chaussures. Il deviendra un représentant de la classe moyenne locale, légèrement inquiété par le prix du pétrole, la foule et la dictature, aura des amis tenus à distance par son sens critique et un bon discours rodé pour expliquer n'importe quoi avec seulement quelques mots. S'il est trop idiot, il continuera à déblatérer avec le cosmos national jusqu'à ce qu'il soit réduit à un essuie-glace alcoolique ou soit moqué par les analphabètes qu'il va attirer immanquablement dans son dos. Dans les deux cas de figure, il aura toujours des moments forts de lucidité qui le confronteront à l'inévitable bêtise : promener une immense vérité qu'il a découverte tout seul dès les premières années de son enfance et qui pourrait remplacer le pétrole en une génération, et vivre le dédain à chaque fois qu'il ouvre la bouche pour indiquer un prochain virage.

Un bon intellectuel algérien est généralement de « gauche », du moins sentimentalement, il est amer sinon il ne vaut rien, il vit dans les villes sinon il risque de s'évaporer, il a ses journaux qui le relient à ses propres constats et nourrit une relation de fascination morbide avec le régime dont il est incapable de se passer comme vis-à-vis mais dont il est incapable d'accepter la morbidité sans l'accompagner par des notes en bas de page. « Les intellectuels sont comme les femmes, les militaires les font rêver », a dit André Malraux. L'intellectuel désabusé était autrefois arabophone ou francophone, aujourd'hui il n'est plus qu'une langue morte dans les deux cas. Il a eu une jeunesse à chaque fois que le pays a failli déboucher dans l'avenir et a fini par vieillir en baissant les bras : il y a des terres qu'on ne peut changer en pays viable même avec un glorieux passé et de la semence de pomme de terre hollandaise. L'intellectuel désabusé est élitiste généralement, il aime l'hygiène, a un visa annuel, tombe en morceaux entre deux bons livres, ne peut ni changer ni changer le monde, possède une énorme mémoire et n'a même plus le statut de cible comme au temps de la SM ou des katibates.

Physiquement, il est banalisé, a ses tics vestimentaires, une famille froide parfois et fait la différence entre les rimes et le salaire. Ceci dans le meilleure des cas. Dans le pire, il se convertit en copiste pour une institution de l'Etat, est journaliste, ou ricane longuement des indigènes pour supporter sa propre longévité en bocal. Sa mauvaise foi lui donne le teint jaune, mais il a au moins la satisfaction de ne pas crever de faim pour des idées que personne ne veut plus manger. Vous en connaissez que rarement des exemples car les intellectuels vivent entre eux, se mangent entre eux ou se cachent parmi vous comme des voisins incolores pour croire à leur propre existence. C'est ainsi. Il y a des époques où les intellectuels sont inutiles et le savent très bien.
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Abdallah

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MessageSujet: Re: RAYNA RAYKOUM   RAYNA RAYKOUM - Page 9 EmptyDim Déc 07, 2008 10:17 am

Chère Parodie,

J'aimerai te demander de ne pas mettre en gras certains passages des chroniques de Kamel Daoud. ça rend la lecture vraiment difficile. Embarassed Embarassed
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MessageSujet: Re: RAYNA RAYKOUM   RAYNA RAYKOUM - Page 9 EmptyDim Déc 07, 2008 2:28 pm

Cher Abdallah

Tu as raison! le gras fait mal aux artères Wink Wink Wink la prochaine fois je mettrais en bleu les passages que j'apprécie.....à moins que je me mette au vert ! geek geek

ps:
Non, non, non, ne rougis pas, non, ne rougis pas
Tu as, tu as toujours de beaux yeux
Ne rougis pas, non, ne rougis pas
Tu aurais pu rendre un homme heureux
I love you I love you
hugues!(mon fre! )lol!
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MessageSujet: Re: RAYNA RAYKOUM   RAYNA RAYKOUM - Page 9 EmptyMer Déc 10, 2008 9:20 am

L'angoisse de l'Arabe face à son passé immangeable

par Kamel Daoud
Pour moi, Arabe insulaire après ma perte de la foi en regardant El Jazeera et Rotana, le passé officiel de ma race était comme l'histoire d'une porte sublime, richement ornée, ouvragée par dix mille mains patientes, sculptée, polie, recouverte de feuillets d'or, capable de capturer les passants et les nostalgiques par le simple son de sa voix, enluminée jusqu'à ressembler à un lever de soleil fixe et qui vous raconte, sans cesse, ce qu'elle cache, ce qu'elle dérobe au regard, ce sur quoi elle ouvre mais sans jamais vous donner la bonne clef, vous demandant de patienter jusqu'à la fin comme une Schéhérazade encore plus maligne, se payant votre tête au lieu de sauver la sienne. Derrière? Il n'y a rien depuis des siècles, sauf l'angoisse d'une race qui s'est retrouvée dans le désert après l'abandon par le Père du monothéisme, et qui a voulu y inaugurer le centre du monde et attirer sur elle les regards de la création généralement trop méprisante pour les bédouins.

A l'époque, Chameliers fiers et exclus, nous n'avions rien pour y séduire les cohortes des Dieux des autres: ni jardins, ni colonnes possibles, ni grands temples, ni des prêtres astucieux, ni même assez de livres pour construire une bibliothèque. Que reste-t-il alors pour inventer une roue géante pour faire le tour de la terre? Comment transformer des caravanes et des chameliers courageux en un peuple élu par lui-même? Où trouver un Pharaon, une mer rouge qui obéit comme une mule au bâton, une version piétonne de l'histoire du berceau, le Nil ou une ville capable de faire avaler une explication descendue du ciel? Simple: Il suffisait de faire parler la plus grande chose que couve et découvre le désert: le silence qui hypnotise, la nuit venue, les étoiles et les lézards. Le vide que ne chausse que le vent ou la voûte obscure. Le «rien» que l'on ne peut justement voir, ni regarder, ni incarner, ni réduire à un corps et qui se trouve derrière le buisson le plus extrême possible, au-delà de ce cosmos dessiné sous forme d'acacia selon la faune locale. Le vide qui se trouve justement partout, qui ne peut s'adresser aux hommes directement et qui peut faire descendre des livres, éparpillées en pages volantes ou faire lever des foules comme le fait le vent.

Le Dieu unique du désert, lui-même absolument unique. Cela pouvait-il suffire à un peuple de tribus qui avaient besoin de naître au monde et qui ont été si longtemps traitées comme une dispersion innée, contrairement à celle de leurs cousins les juifs? Comment faire pour réparer une histoire qui n'a jamais transité par la généalogie de ces tribus, répondre à l'arrogance des empires voisins et des peuples de scribes qui les traitaient comme des sauvages à peine descendus du chameau? La réponse est simple encore une fois: Prendre violemment l'histoire par les cheveux et lui faire raconter la bonne version, même si elle parlait à peine l'arabe et cafouillait dans des restes d'araméen aujourd'hui disparu. C'est-à-dire prendre les livres des autres, leurs pages volantes, les petites ratures de leurs manuscrits, leurs chants liturgiques tronqués et transformer le tout en une épopée qui n'attend plus que le bon peuple pour se déclencher comme un effet dominos.

Les Arabes ont rejoué en deux siècles les épopées vagues et millénaristes des autres peuples: la traversée d'un désert, un exil presque collectif, une perte dans le vide, une ville perdue et une autre attendue, la loi du petit nombre vainqueur du gigantisme de l'armée adverse. La tranchée de sable creusée autour du campement de la Médine comme le fut la mer rouge des juifs, la persécution et l'invention d'un nouveau calendrier inaugurant. Tout y était à la fin comme au début. Rien ne manquait à cette histoire émouvante d'accouchement, sauf le Père qui a disparu, très tôt, après avoir abandonné le fils et sa mère en plein désert et avec, tout juste, une source d'eau. Je vivais ainsi la même angoisse de ce fils, la même peur, la même détresse face au vide que je ne pouvais peupler que de ma langue.»


Ps: Navrée abdou mais je n'ai pu m'en empêcher! Laughing Laughing
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MessageSujet: Re: RAYNA RAYKOUM   RAYNA RAYKOUM - Page 9 EmptyJeu Déc 11, 2008 9:08 am

Portrait d'Algériens: le village mort des années 80-90

par Kamel Daoud
A l'époque de ma découverte de Dieu comme un Dieu «présent» durant les années Chadli, mon village était déjà si triste et si plat qu'il n'avait plus d'issues praticables depuis fort longtemps. On n'en sortait jamais et on y revenait toujours la tête courbée vers la chaussure, cherchant à s'excuser d'on ne sait quelle audace inavouable. On pouvait certes partir, vivre ailleurs, allonger la route de la fuite, mais le village restait là, au même endroit au fond de la cervelle, fermant les voies, rapetissant l'envie de vivre pour en faire une allumette craintive, empêchant le courage de sauter le mur et répétant à l'oreille de ses habitants la même histoire d'impasses et d'inutilité, imposant sa propre version d'un vieux caillou resté au fond d'une rivière qui n'existe plus. On comprendra alors que l'un des rêves les plus fréquents de ma génération était cet épisode gênant et répétitif où l'on se voyait, à la sortie de ce hameau, rater le Bus, le Train ou manquer d'argent pour entreprendre le voyage du mûrissement. J'y étouffais comme un noyé en m'y fabriquant une haine et une colère si énormes contre cette gigantesque miniature, que cela a servi à condamner le reste de l'univers lorsqu'à l'âge adulte je me heurtais aux mêmes murs de ma race et de ma condition dans les aéroports de l'Europe. Le cosmos du village était si étroit que rien n'y servait à faire oublier l'enfermement: les arbres y étaient chétifs, l'herbe naine, l'eau incolore et incapable de refléter le ciel même dans une flaque tranquille et les histoires si appauvries par le manque d'épopées et d'espaces qu'elles en ressemblaient à des chiffons que l'on devait manger pour se souvenir un peu d'un autre goût possible de la vie.

Le Village n'avait pas été toujours ainsi, astéroïdisé, tournant autour d'un souvenir de terre, gris et incapable de déchiffrer sa propre plaque, tant il croyait le reste de l'humanité défunte: comme tous les autres villages, il perdit curieusement son sens avec l'Indépendance et le départ du Colon, l'homme Blanc qui le traitait comme un âne mais le croyait quand même vivant. Il eut même une époque où l'on pouvait surprendre des arbres discuter et croiser un serpent qui vous demandait son chemin comme un vrai voyageur, raconte-t-on aux enfants en y croyant soi-même. Et certes, la misère y était grande à cette époque, les poux plus nombreux que les cheveux, le travail rare mais l'univers tenait encore debout, indiquait une direction dans le ciel et les morts ne finissaient pas en cadavres mais en souvenirs capables de partager certains évènements avec les vivants.

La mort du village intervint beaucoup plus tard, à ce que racontent certains visages: un peu le jour où il compris qu'il était arrivé à destination mais que le voyage était la meilleure partie de son histoire. L'Indépendance y ramena certes les trottoirs, les poteaux, l'électricité, la chaux, le robinet et le travail assis mais y développa aussi cette misère de l'âme, cette traîtrise de soi et cette infamie fondamentale qui fit juger tout le monde par tout le monde comme menteurs sur on ne sait plus quelle vérité perdue.

Fort de son premier drapeau, le village devint avare, culbuta ses ancêtres dans une rigole, s'acheta de nouvelles chaussures, coupa sa route et se vida de lui-même en doublant le nombre de sa population. Le Colon disparu, les habitants du village se retrouvèrent non pas sans maître, mais surtout sans raison de vivre, obligés de se souvenir de leur propre servilité qui avait duré des siècles et de la cacher sous la violence et le sarcasme comme le font généralement les gens aux passés piètres devenus des gens aisés.

On comprendra alors que comme pour le reste du pays, le retour de Dieu, durant les années 80, y fit le ravage d'une drogue et que le ciel pesa soudainement plus qu'ailleurs, à défaut d'une terre habitable. Je ne me souviens pas très exactement des débuts de cette histoire, mais j'en vécu les lents changements de peaux comme beaucoup des jeunes de mon âge.

Sans aucune nouvelle du Monde Vivant, éduqué à haïr l'Étranger et vomissant la terne récolte de la génération de mes parents et leur désoeuvrement après l'Indépendance, je découvris alors, avec des milliers d'autres, la religion et sa fantastique explication ventriloque, ses vieux livres jacassants sur les traces de pas du Prophète et ses gestes et surtout un moyen de sortir du Village et de son petit monde que l'on pouvait ramasser dans une seule main, jeter le plus loin possible et qui retombait lamentablement, et toujours, au même endroit comme une grenouille morte. Au début des années 90 le hameau perdit, en quelque sorte, sa fatalité initiale mais en acquit une autre, plus désastreuse.


ps: Guenzet ......et les autres ...... Wink Wink Wink
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MessageSujet: Re: RAYNA RAYKOUM   RAYNA RAYKOUM - Page 9 EmptyJeu Déc 11, 2008 1:27 pm

J'avais loupé l'avant dernière ! Elle est magnifique !!!
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MessageSujet: Re: RAYNA RAYKOUM   RAYNA RAYKOUM - Page 9 EmptySam Déc 13, 2008 8:43 am

Le meurtre banal du colonel Abel

par Kamel Daoud
Voilà ! C'est presque fini. Brusquement, entre deux averses on a appris, nous qui étions nés trop tard pour profiter de l'Indépendance, qu'un matin du 3 septembre 1964 à Oran, quatre «juges» se sont levés le matin et ont assisté à l'exécution d'un colonel du nom de Chaâbani Mohammed parce que le Président de l'époque ne l'aimait pas. Sur la liste de ce sitcom horripilant, on a reconnu Chadli, Ben Bella, Boumediène, le colonel Bencherif, Saïd Abid, Bensalem Abderrahmane et Draïa Ahmed. La moitié de ces noms ne nous disent plus rien et la moitié de ce peuple ne disait plus rien à ces gens dès cette époque. Des années après donc, Chadli a parlé et Nezzar lui a rétorqué pendant que nous mangions un peu de pain en regardant des figuiers démentir la force des vents. Tout le monde a vécu l'épisode comme un épisode, un spectacle, une confirmation de la conclusion populaire sur les décolonisations détournées ou un documentaire sur la reproduction des insectes féroces d'un pain moisi. Il n'y a eu qu'un seul avocat à Alger pour parler de «terrible aveu» confirmant l'impunité comme mode de devoir de mémoire banalisée et prouvant que l'on peut tuer, juger et décapiter avec le parapluie de la prescription, de la raison d'Etat ou des nécessités de la guerre. Sans que cela ne heurte personne aujourd'hui et sans que cela aille au-delà du plaisir malsain du voyeur pour la scène des interdits et des intimités. De quoi expliquer, banalement, plus tard, les massacres collectifs, les hécatombes des routes, l'impolitesse nationale, le viol quotidien par l'ENTV, le bourrage d'urne et la corruption généralisée et même le teint jaune de la population. Un homme se lève le matin et peut être fusillé un quart d'heure plus tard. Un autre homme se lève lui aussi, le juge avec mollesse et met fin à une vie avec la légèreté d'un homme qui remplit une formule.

Il se lève des années plus tard et se retrouve Président. Encore quelques matins et il finit par raconter la chose à son ex-peuple en accusant d'autres ex-propriétaires sans même provoquer la moindre petite nausée nationale. Le pire est cependant dans ce silence qui a entouré comme un sous-titrage frauduleux les aveux d'un meurtre : ni l'ONM, ni les anciens moudjahidine, ni l'ex-ex-Président, ni les gardiens du temple, ni même les fervents de la nouvelle Constitution, qui insistent sur l'écriture de l'histoire autrement qu'avec des rayons, n'ont trouvé à redire.

Autant de gens qui peuvent vous traîner dans les tribunaux, vous accuser de néo-harkisme et vous fabriquer un dossier messaliste si vous osez la moindre petite phrase sur «leur histoire nationale» et qui aujourd'hui se taisent et font semblant de recompter les cheveux pour ne pas avoir à se mêler de cette fausse bataille à effet dominos. Un «terrible aveu» ? Oui, très terrible : les cimetières de ce pays font trois fois sa surface et les assassins y vivent avec le paisible souffle des jardiniers. Dans cette histoire, Dieu n'a pas eu besoin d'envoyer des corbeaux pour initier aux enterrements. Ils étaient déjà là. Ils sont encore ici.
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MessageSujet: Re: RAYNA RAYKOUM   RAYNA RAYKOUM - Page 9 EmptySam Déc 13, 2008 10:58 am

Oui on demande repentance a la France alors que l'on n'a même pas fait la paix avec notre propre passé...
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MessageSujet: Re: RAYNA RAYKOUM   RAYNA RAYKOUM - Page 9 EmptyDim Déc 14, 2008 8:52 am

Portraits d'Algériens: le quêteur de la «mise à jour» absolue

par Kamel Daoud
Souvenez-vous: ce que Boumédiène n'avait pas réussi, Hotbird l'a fait. Réunir les Algériens autour d'un projet commun, avec des fonds communs, une équipe d'entretien, un collectivisme enthousiaste et une vigilance citoyenne pour la parabole du quartier. Et pendant dix ans des Algériens prenaient la montagne, là où d'autres prenaient les toits. Les uns regardant des femmes trop belles dans leur rêve, les autres à la télé. L'irruption du satellitaire en Algérie est ontologiquement l'ancêtre de la Hargua physique, la dissidente médiatique et le début de la libéralisation par les yeux. C'est dire que le pluralisme a été d'abord celui de la télécommande avant d'être celui des partis. Des années après, l'antenne parabolique s'individualisa, signant l'éclatement de l'unique projet communautaire laïc dans le pays (face au projet des mosquées SPA) et donna naissance à cet homme qui peut être votre voisin, votre frère, votre ami ou vous-même: le quêteur de la mise à jour définitive.

Trentenaire dans la majeure partie du cas, il a le geste calme, les oreilles tournées vers le ciel, la parole avare parce qu'il vit dans le cosmos, le gain facile parce qu'il vend de l'air et la culture scientifique parce qu'il a compris là où d'autres prient. Noctambule par obligation professionnelle, il connaît toutes les marques des démos, la filière hindoue et israélienne des pirates, les azimuts inouïs et incalculables, les calendriers des cryptages et comment échapper à l'ENTV en rampant sous le radar ou en faisant semblant de dormir. Au-delà de son calme, ce digne fils héritier des groupes de réglages nocturnes de la parabole collective des débuts des années 90, gêne parfois la psychanalyse qui y détecte une obsession fondamentale, unique comme un parti, et un cycle d'humeurs liées à la rumeur ou à l'industrie des bouquets occidentaux. Il a des moments d'absence qui le transforment en cactus métallique et font douter de sa conformité à la norme algérienne. Pour le reste, le quêteur de la mise à jour absolue reste un homme sérieux, conscient d'être impliqué dans un enjeu vital, une guerre latérale d'images à voler pour survivre, un défi entre l'Occident qui ne donne rien gratuitement et son intelligence qui doit trouver des solutions pour échapper au journal de 20h de l'ENTV, aux terribles télégrammes de Bouteflika lorsqu'il survole des pays. Se levant souvent tard, il veille souvent beaucoup aux prises avec la matrice post-numérique, cherchant dans les forums les nouvelles-clés, les sites gratuits et les réglages vitaux.

Du point de vue anthropologique, le quêteur de la mise jour absolue a, aujourd'hui, la fonction du chamane dans les sociétés de la cueillette antique et de la chasse magique. Il entre en transe, discute avec l'invisible, escalade l'arbre mythique qui relie l'ici-bas à l'au-delà chaque soir, peut convoquer les morts, s'habiller de peaux de bêtes et parler dans la langue semi-familière de la technique audio-visuelle. Dans un curieux télescopage d'homonymies, les noms des Dieux anciens rejoignent les noms des satellites avec qui il a commerce: Thor, Hotbird, Nilesat, ... etc. Chamane digital, les hommes viennent vers lui pour écouter ses visions et nourrir l'espoir de garder intactes les fenêtres ouvertes sur le monde libre, beau et chaud des chaînes étrangères.

Comme le faisaient autrefois les chasseurs nus à qui le gibier manquait par avarice des Dieux et des esprits. Le rêve du quêteur de la mise à jour absolue reste, bien sûr, l'absolu: une clé unique qui décryptera toutes chaînes, cassera tous les codes et mettra fin au monde tel qu'il existe. Une sorte de révélation, de dévoilement, qui lui permettra de posséder la clé ultime, alchimique, qui l'enrichira jusqu'à l'obésité et calmera en lui le désir de faire des va-et-vient entre les mondes parallèles. Commerçant, le Quêteur possède généralement une boutique appauvrie, à peine aménagée mais que tout le monde sait n'être que la vitrine d'un décodage fabuleux toujours en cours. On y vient avec le panier et on en ressort pressé de prendre des ailes avec sa télécommande. Que fera le quêteur de la mise à jour le jour où toutes les chaînes seront cadenassées par des technologies surhumaines? Il mourra. Montera au ciel voir les satellites brouter les amas. Peut-être? Ou se fera islamiste contre un écran plat au Paradis. Ou baissera la tête et répètera qu'il n'y a plus d'issues.
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MessageSujet: Re: RAYNA RAYKOUM   RAYNA RAYKOUM - Page 9 EmptyLun Déc 15, 2008 8:36 am

Portrait d'Algériens : mémoire d'un islamiste qui s'use

par Kamel Daoud
A seize ans donc, je redécouvris l'Islam comme autrefois l'on a découvert le feu et avec lui la clarté puis la hideur des parages, les vieillissements sans raison, les petites ruines des âmes, la pauvreté animale. Il y eut un moment, alors que j'étais encore lycéen, forcé à ânonner une histoire officielle morte, où je ne voyais plus l'univers que par le mauvais bout d'une paire de jumelle : infiniment loin, ridiculement petit, agité comme une fourmilière et pesant comme un rideau entre moi et ce Dieu dont j'apprenais, de plus en plus, tout à la fois le terrible enfouissement sidéral et la proximité écrasante au point où, il m'arrivait d'éclater en sanglots en lisant le Livre Saint ou en regardant tomber la pluie de sa miséricorde. Au plus fort de cette crise, durant laquelle les heures d'école m'étaient une épreuve et les bavardages des miens une mastication animale, je ne connaissais comme bonheur que l'odeur des tapis de la mosquée à l'heure de l'aube, l'isolement des prières et la sensation de propreté que m'apportaient les ablutions. Je songeais même, un moment, à m'isoler complètement dans un grotte que la nature a creusé au nord du village, au flanc de son unique colline ou à passer au moins une nuit chaque semaine, dans le cimetière de l'est, pour imposer à mes sens le spectacle de la mort, de la brièveté et rappeler à mon corps les affres qui attendent le croyant faiblard dans la tombe. Je lisais aussi, sans me fatiguer et au point d'en apprendre une bonne partie par coeur, le Livre Unique, les deux encyclopédies des Dires du Prophète et les milliers de livres de ceux qui les ont commentés, analysés, creusés et essorés au point d'y aboutir à l'extase et à l'absurdité comique sans le remarquer. Mes gestes s'en inspirèrent et je devins avare de mouvements, de déplacements inutiles et de paroles oisives qui nous viennent du Diable. Ces longs silences qui me donnaient les apparences d'un souvenir aux yeux des miens, étonnèrent un peu ma propre famille, mais personne n'osa m'en faire la remarque, sauf mon cousin, orphelin de mère et dont l'engagement communiste faisait rire notre entourage et en excusait l'irréligiosité. Il tenta longuement de me convaincre de mes exagérations mais s'y prit tellement mal un jour, qu'il ne put que me crier que j'étais tout bonnement fou, exaspéré par ce silence efficace que Dieu me donna comme arme contre les coeurs impies. Il n'arrivait pas à comprendre mon enfermement et n'y voyait que les gestes de surfaces et pas les gestes du noyé. Comme les Etrangers, il ne pouvait regarder la religion qu'à partir de l'idée que c'est un refuge ou un costume : pour lui, comme pour les Occidentaux, on peut facilement se fabriquer un Dieu à partir d'un collier de dents, d'une poignée d'encens, d'un orage terrible. Il ne pouvait comprendre ma consumation, ni faire le lien entre le Village mort après l'Indépendance et mon besoin de l'enjamber et avec lui tout le reste de la création. A mon tour, je vivais lentement la croissance de la haine pour des gens comme lui et pour ce pays qui n'appliquait pas la Loi de Dieu. Tout m'apparaissait comme une trahison, une insulte faite à la face de Dieu, une ingratitude alors qu'il nous a confectionné la création comme un vrai manteau. Je regardais tous les livres des bibliothèques comme de sournoises conversations qui chercheraient à détourner le pèlerin et essayaient d'effacer la voix de Dieu sous un jacassement de marchands.

A l'époque, je n'étais pas évidemment seul à vivre cette folie : nous étions légion à marcher vers Dieu en tournant en rond avec nos petites barbes naissantes et nos collections de livres qui refusaient le monde mais en utilisaient le papier. Je connus le cycle des camps d'été près de la mer où l'on s'efforçait de recréer la Médine Illuminée sans se l'avouer, dormant un peu à la belle étoile, mangeant ce que nous préparions et préparant le grand Djihad pour les années à venir.

Je suis certes un peu injuste en parlant de ces temps là comme d'une maladie : j'y ai connu la fraternité, la sobriété qui me rapprocha d'une ténébreuse liberté jamais retrouvée, l'amitié enthousiaste, la frugalité de l'aube lorsqu'elle vous appartient à vous tous seul, et la plénitude toxique de la vérité unique. Je suis donc ainsi passé de ce temps où, brièvement, le Village était un cerf-volant mou, à cet âge où il ne fut plus qu'un tas de pierres au bas d'un haut minaret unique que je lançais vers le ciel comme une corde d'escalade cinq fois par jour. J'avais une vision féroce : on y apprend à voyager vers Dieu en lui tournant le dos et à parler de lui en parlant à sa place.

A cet âge, je pouvais déjà tuer en caressant avec compassion les cheveux du mort et poser une bombe pour hâter la délivrance de la création... ».
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MessageSujet: Re: RAYNA RAYKOUM   RAYNA RAYKOUM - Page 9 EmptyMar Déc 16, 2008 9:43 am

Oran est sur un baril

par Kamel Daoud
Que faire après le pétrole ?». C'était la grande question prospective des pays pauvres avec des puits trop pleins, des régimes très durs et des économies trop dépendantes. Aujourd'hui, la question est « Que faire avec le pétrole ? ». C'est-à-dire que faire si le client manque, si l'Occident tombe en panne ou préfère utiliser les panneaux solaires ou si le pétrole commence à valoir moins que le coût de son pipe-line ?

Après le pétrole, et avant sa fin, on a donc pensé à acheter des usines, développer l'agriculture et la manufacture et construire une économie qui va au-delà du concept préhistorique de la cueillette. Cela n'a pas réussi car la loi de la nature des peuples est simple : pourquoi laboureur là où on peut puiser ? On est passé ensuite à un concept plus pragmatique : le pétrole doit servir à asseoir les régimes sur la tête de leurs peuples, acheter les foules agitées, amender les constitutions et s'annexer les sourires des chancelleries occidentales consommatrices. Si on ne peut pas faire la guerre avec du pétrole, on peut faire de fausses élections. La question ne se posant pas en terme de choix entre l'urne et le baril.

Maintenant, il s'agit de prendre son pétrole et de lui trouver un bon prix, c'est-à-dire un gros client qui veut bien encore grossir. Cela n'est pas évident. D'où, en zappant sur les milliers d'analyses de ces deux dernières années, le sommet de l'OPEP à Oran. Là, les Oranais se sont levés depuis trois jours sur deux villes : l'une sur le dos, l'autre sous le regard.

Il faut cependant éviter le vieux procès des gens miséreux et post-socialistes :
l'évènement est bon pour Oran. Il lui permet de tester sa capacité de passer de l'organisation du méchoui de la kasma à l'accueil d'un forum mondial avec une ville préfabriquée pour quelques jours. Bien sûr, au-delà de l'itinéraire des délégations et de celui de Bouteflika, le reste de la ville est percé, tombe en miettes et n'a pas de chaussures, mais c'est cela le pétrole dans les pays pétroliers : un paradoxe souriant. Il signifie à la fois la richesse la plus riche, l'incompétence paisible, des roitelets susceptibles et un faux proverbe : «Un peuple assis sur de l'or est d'abord un peuple assis».
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MessageSujet: Re: RAYNA RAYKOUM   RAYNA RAYKOUM - Page 9 EmptyMar Déc 16, 2008 7:13 pm

il ne finira pas de m'éblouir ce david !
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MessageSujet: Re: RAYNA RAYKOUM   RAYNA RAYKOUM - Page 9 EmptyMer Déc 17, 2008 9:12 am

Deux chaussures qui nous valent tous ?

par Kamel Daoud
On a parlé de la crise du capitalisme, de pétrole, de l'Opep et de la pomme de terre mais le plus gros événement était cependant irakien, en Irak, au coeur de l'Amérique, entre les deux yeux du monde arabe. Pour commencer, il faut d'abord prendre l'histoire de la chaussure de Cendrillon (l'orpheline aidée par un djinn féminin pour assister à la fête d'un prince et qui perd sa chaussure en s'enfuyant à minuit) et l'inverser : c'est-à-dire prendre la chaussure avec laquelle Bush a été frappé lors de sa conférence de presse en Irak, il y a quelques jours, et l'essayer sur chaque pied d'Arabe, un par un, des va-nu-pieds et jusqu'à ceux qui ne touchent jamais le sol. Et le jour où cet Arabe sera retrouvé, il faut l'épouser, ou l'élire, ou l'admirer en ouvrant la bouche jusqu'aux amygdales ou imprimer son visage sur les billets de banque ou prendre son nom et le partager, lettre par lettre, sur les meilleurs enfants du siècle. Aujourd'hui et désormais, il faut fêter l'année de la double chaussure : celle d'un journaliste irakien qui a frappé Bush qui a frappé le premier mais avec des bombes. Cette journée doit être déclarée fériée et sacrée et symbolisée par des chaussures magiques, les premières à nous avoir fait marcher sur la Lune.

On peut dire banalement que ce journaliste a osé ce que nos rois n'osent pas. C'est vrai mais c'est court et cela ne suffit pas. Un jour, et pour illustrer le propos, un chroniqueur confrère notera que Condo Rice, reçue par les rois du Golfe, avait les cheveux nus face à des ministres et des princes qui avaient la tête couverte. Il faut être Arabe pour en saisir le sens, mais passons. Ceci n'épuise pas ce geste mythique de la chaussure comme arme fatale là où il ne nous restait que la langue et la télécommande pour zapper. Car au fond, qu'a dit ce journaliste irakien que la rue arabe porte sur ses épaules en le promenant comme un héros de bataille ? D'abord qu'il ne nous reste que la chaussure à défaut de routes et d'armes et de pantalons. Ensuite que l'on peut y voir le dernier substitut phallique du «Nez» de la race. Enfin, que cet Irakien vaut mieux que Saddam et ses moustaches et qu'il nous remplace tous et nous vaut tous depuis Saladin. Enfin, cela veut dire que dans notre monde à nous, habitants de la planète du baril et d'Allah, désormais il faut mériter ses chaussures et pas seulement les porter pour traverser les flaques d'eau. Et pour paraphraser une tradition connue, si on ne peut pas changer le mal par l'acte, on doit le changer par la parole ou, à défaut, par le coeur. Sur la liste, il faut désormais ajouter «par ses chaussures». Ô Irakien inconnu, toi seul mérite d'en porter pour le moment ! A tes côtés, nous devons tous rester pieds nus jusqu'au jour où nous pourrons être à ta hauteur ! Nous n'avons que toi à admirer et toi tu n'avais que tes chaussures pour nous sauver l'eau du visage ! Ton geste fait mal, fait honte, fait «bien», assouvit, gêne et condamne, signe l'impuissance et la dérive. Pour de longs siècles encore.
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MessageSujet: Re: RAYNA RAYKOUM   RAYNA RAYKOUM - Page 9 EmptyJeu Déc 18, 2008 9:31 am

Ecrire l'histoire, même avec ses pieds !

par Kamel Daoud
Impossible de zapper sur autre chose: les deux chaussures de l'Irakien qui a «tiré» sur Bush continuent de faire l'évènement. On promet de les acheter à dix millions de dollars, de défendre le journaliste avec 500 avocats, de déchausser les journalistes pour les conférences de presse présidentielles, d'annoncer la découverte miraculeuse de l'ADM (Arme de destruction massive) que Bush a tant cherchée... etc.

Et rien ne confesse mieux notre réduction collective à la jubilation assise, que ce geste. Encore une fois, on se retrouve à mastiquer cet enthousiasme des foules arabes que l'on ne peut éviter tant nos frustrations sont énormes après la perte du centre du monde depuis des siècles. On ne peut, non plus, éviter de saluer ce journaliste comme un héros, car nos panthéons sont dégarnis ou sont occupés par des caricatures à moustaches et d'affreux «Père de la nation» qui nous font marcher en rond autour de leurs portraits géants. On ne peut pas, non plus, ne pas en fabriquer des blagues, des jeux vidéo, des proverbes hilares, et à partir de ces chaussures épiques pour éclairer avec le ricanement l'épopée de Saddam, la Nekba, nos armées de libération qui se sont retournées contre leurs peuples. C'est connu: nous avons l'enthousiasme facile et l'épisode de Sahaf, le porte-parole du vent à l'époque de l'invasion de l'Irak est une preuve honteuse qu'on tente d'oublier. Le geste de ce journaliste a été donc salué comme un attentat propre. Il n'a pas fait de morts mais a tué l'ennemi, il n'a pas emporté des innocents mais a atteint les coupables, il n'a pas eu recours à la bombe mais au symbole. C'est un geste héroïque avec une misère de sens: c'est encore une fois le syndrome Salah Eddine qui revient et sa misère est que, pour cette fois-ci, le Héros attendu a été réduit à l'usage de chaussures faute d'autres moyens de réponse.

Le journaliste s'en sort auréolé, mais cela n'exclut pas l'évidence: nous sommes tombés bien bas, si pour colmater nos défaites, il ne nous reste qu'un seul Irakien et ses deux chaussures. C'est dire que ce qu'ont fait nos ancêtres avec des armes, du courage, des batailles et des idées, il ne nous reste à nous, pour nous en acquitter, que des kamikazes assassins ou des chaussures banalisées. La seule consolation est que notre histoire continue à s'écrire, même si c'est avec des pieds!
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MessageSujet: Re: RAYNA RAYKOUM   RAYNA RAYKOUM - Page 9 EmptyDim Déc 21, 2008 8:59 am

Après l'indépendance, l'animal est triste

par Kamel Daoud
Discussion nocturne entre deux chroniqueurs : pourquoi ce peuple qui a été colonisé tant de fois renonce-t-il si absolument et si facilement à sa propre liberté ? L'énigme est entière et ne s'explique ni par la fraude électorale répétitive, ni par l'histoire qui s'amollit, ni par les coups de pieds reçus, ni par le confort très relatif de la première indépendance enregistrée depuis la préhistoire.

En principe, et selon la logique des réflexes, un peuple qui a vu défiler sur ses terres, ses femmes et son dos, les romains, les vandales, les espagnols, les ottomans et les turcs et qui a combattu les français comme un seul homme armé d'un seul fusil et mangeant un seul repas tous les six mois, un tel peuple doit avoir le culte absolu et non négociable de la «Liberté». La vraie : celle que l'on dessine avec un ciel bleu à chaque geste, que l'on gave de son propre sang et qui interdit toute concession à la moindre petite concession.

Et ce n'est pas le cas : après la première indépendance, les Algériens se sont soumis aux leurs comme jamais ; et aujourd'hui, vous pouvez venir les marier de force à un Président autobiographique, leur imposer ce que vous voulez comme applaudissements, du contrôle d'Internet à l'ISBN policiers, des livres selon les comités de soutien, les Algériens ne disent rien. Ils regardent, soupirent, marmonnent des analyses complexes, tâtent leur impuissance, prennent un autre trottoir et s'écrasent face à la fatalité comme des feuilles mourantes. Cela va de l'acceptation du vide comme territoire national infranchissable, à la soumission politique la plus inattendue et jusqu'à la démission schizophrénique face à ce qui les concerne au plus haut point.

C'est tout juste si on commente cette mise en harem de tout un peuple qui descend de plusieurs générations de guerriers, mais qui en descend à pied, les bras ballants et la tête penchée vers les aliments. Et c'est tout juste si on constate le fait absurde d'être à la fois si docile et si nombreux sous la matraque de gens si peu nombreux mais tellement malins.

A la fin, se dévoile l'autre grande évidence collective : nous subissons tellement et si bien que cela prend le sens d'une punition nationale collective et méritée. De quel crime ? Personne ne sait mais tout le monde s'en acquitte en s'écrasant. Une conclusion sous la forme d'un faux proverbe : «On peut mettre fin aux jours d'un peuple, mais pas à ses nuits».
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MessageSujet: Re: RAYNA RAYKOUM   RAYNA RAYKOUM - Page 9 EmptyLun Déc 22, 2008 10:41 am

La Bananisation sophistiquée

par Kamel Daoud
On croit le retour de Chadli sur la scène de la parlotte nationale lié à l'affaire Mecili, il est, peut-être, congénital à l'aventure du baril algérien. Pour la première affaire, le jeu était presque clair dit-on: parler d'un diplomate inculpé en France à cause d'Alger va finir par faire parler de Chadli à l'époque où il tenait le pays par les cheveux avant de s'apercevoir qu'il avait en main une perruque, un janvier 1992.

Conscient du message, l'ex-Président a fait donc remonter la généalogie du crime jusqu'à 1964, et même avant, pour expliquer qu'il n'est pas le seul, que tout le monde l'a fait et que tout le monde sait qui a fait quoi.

Pour nous, cependant, génération née entre l'arrivée de la banane et la crise de la pomme de terre, le départ des Cubains et l'arrivée des Chinois, il y a un autre mystère plus immédiat: dès que le bonhomme a ouvert la bouche, le baril a commencé à chuter et on s'est tous retrouvés avec la terrible angoisse du Souk El-Fellah vide face à un peuple désoeuvré. La différence, cette fois, est, cependant, dans le volume et le chiffre: à l'époque on a répondu avec de la banane selon une fausse caricature populaire. Aujourd'hui, on le fera avec 150 milliards de dollars pour financer un plan anti-pénurie incluant ouvrages d'art, Chinois, autoroutes, élections et marchés douteux. Pour les économistes, on a la même économie qu'à l'époque même si on a changé de Présidents.

Pour les politiques, il s'agit de verser dans la même politique de l'aliment contre le bétail. Pour le peuple, c'est une coïncidence presque amusante avec la confirmation de la théorie des cycles entre l'intestin et le pipe-line, la plaine et le maquis, le meurtre et son explication périmée.

L'avocat Mecili est mort, Chadli presque, mais le reste n'a pas changé. D'un côté des bananes, de l'autre des intrigues à base d'usage de rimes et d'homonymes: Hasseni contre Hassani, Hamraoui à l'opposé de Samraoui, Châabani contre les bannis et Benjedid à ne pas confondre avec Benbella. Pour un ami psychiatre, tout est clair comme une maladie: il y a eu meurtre du Père (Messali), assassinat du Frère (Chaâbani ou ses frères), confusion dans les sexes et les noms (socialisme) et, à la fin, sinistre et cannibalisme sans frontières, ni interdits (terrorisme).
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MessageSujet: Re: RAYNA RAYKOUM   RAYNA RAYKOUM - Page 9 EmptyMar Déc 23, 2008 5:13 pm

Ecoles: la faute au rouge à lèvres

par Kamel Daoud
On se lève le matin et puis on lit dans les journaux : désormais, l'usage des rouges à lèvres, fond de teint et vêtements Fashion sont interdits pour les enseignantes à l'école.*. On lit puis on suppose les raisons : le pays entier se talibanise, passivement, et cela commence toujours dans les écoles, comme il est de règle, quand un pays bascule dans l'absurde et l'ablution pour se laver de lui-même. Et puis on se dit : en quoi un rouge à lèvres interdit peut-il améliorer l'école algérienne et faire marcher les Algériens sur la lune, au lieu qu'ils le fassent les uns sur les autres ? On ne trouve pas de réponse puis on conclue : il y a des moments dans les histoires du Douar qui brûle, où la plus belle fille du coin demande après son peigne et son peignoir. Puis, on n'arrive pas à comprendre malgré le courant de fond national qui va de la barbe à la plus grande mosquée d'Afrique. Pourquoi le rouge à lèvres ? Parce que cela va dans le sens général : quand un Président parle comme un Imam dans un pays qui rêve d'être une mosquée plus géante que celle des Marocains, il est tout à fait logique que l'on accuse un rouge à lèvres de la baisse du niveau national vers le marmonnement de nos ancêtres, entre deux colonisations. Il y a des périodes dans les vies de certains pays où un rouge à lèvres peut payer pour le reste et être traité comme un parti d'opposition, un attentat ou un acide ou une déviation collective vers le Plaisir au lieu de bifurquer vers le Devoir. Et avec du maquillage interdit pour les femmes mais encouragé pour les visites présidentielles, on va automatiquement atteindre la lune et imposer aux Algériennes d'être comme les hommes : munis de bouches et pas de lèvres. On peut donc maquiller des élections, des statistiques, des routes et des appels d'offres, mais plus les femmes qui enseignent et qui doivent accomplir leur mission d'éducatrices habillées en cubes géométriques asexuées face à des enfants qui ne devront pas les distinguer des hommes sauf par la voix. Le problème n'est plus donc dans les manuels scolaires, ni dans les chauffages des écoles, ni dans les fraudes sur les notes ni dans la surcharge des classes, mais sur les lèvres des femmes qui doivent être des soeurs, des mères et des filles mais pas des femmes. Dans le tas, le FIS doit bien regretter avoir sacrifié sa « légalité » et douze ans de vie de ses leaders en plus des milliers de morts, puisqu'à la fin, il se voit offrir dans un papier cadeau ce qu'il a demandé avec des défilés militaires. Question de fond à la fin : pourquoi cette mortelle crainte de la femme, de ses lèvres et de tout ce qui fait de la femme une femme ? Absurdement, la réponse est claire : parce qu'on a peur de ne pas être un homme accompli, il faut nier à la femme sa féminité. Le pays se referme donc et le plus terrifiant, c'est qu'il le fait avec presque le consentement de tous : personne ne trouve à redire. Du moins, pas avant qu'on commence à le payer tous à Kandahar. Après la politique de la priorité de la mosquée sur l'usine et la récolte, on en est à celle du rouge à lèvres contre l'Etat et de la robe courte contre la pureté nationale. La talibanisation est en route, et elle commence encore une fois avec ce terrible désir de pureté que l'on sait annonciateur des terribles massacres !



*Nora !sors de cette phrase!!!!!
Wink Wink Wink
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MessageSujet: Re: RAYNA RAYKOUM   RAYNA RAYKOUM - Page 9 EmptyMer Déc 24, 2008 4:32 pm

L'homme qui aime caresser ses montagnes

par Kamel Daoud
C'est un homme comblé : un peuple entièrement photocopié lui court après, après qu'il l'eut obligé à courir dans le désert. Que voulez-vous donc qu'il pense aujourd'hui, si là où il pose le regard, il ne voit que des gens qui l'applaudissent, des poètes qui se crèvent le larynx à lui domestiquer des nuages, des zélés qui goudronnent son destin et le suivent comme des moineaux ? Que voulez-vous qu'il croie lorsque tout lui répète son nom, loue ses éternuements et photocopie sur du marbre ses discours murmurés ?

A la fin, il ne faut pas lui en vouloir s'il est convaincu de pouvoir fabriquer l'avenir avec ses lèvres et être attendu comme la pluie. Tout a été fabriqué autour de sa personne comme une scène au-delà de laquelle il n'y a rien sauf de la broussaille, lui dit-on. Les artisans de son destin en préfabriqué avaient très tôt deviné ce qu'il attendait désormais de la vie : une autobiographie interactive entre lui et ce pays et ils ont fait en sorte qu'il ne manque jamais de spectacles et de hourras, comme s'il venait tout juste de quitter le maquis libérateur. D'où les bus, les meetings, l'ENTV, les saluts et les décorations et les hystéries populistes. On a compris que ce pays pouvait être une grande salle de cinéma et on le lui a offert contre une prestation de service précise : meubler le discours de la continuité par la rupture.

Il faut avoir été roi pour comprendre qu'il est difficile d'éviter de croire à sa propre gloire lorsque toute une foule vous poursuit avec ses acclamations, même si c'est un peuple préfabriqué et même si, de temps à autre, une petite voix vous répète que la monnaie est fausse et qu'il semble même que ce soit le même groupe qui multiplie les cris pour faire croire à son nombre. N'empêche, aucun Roi ou Père de la nation n'a jamais pu surmonter les yeux mouillés de ses arrière faux petit-fils. D'où, à la fin, cet inconfort du Roi : le besoin de croire qu'il a un destin et pas un tic-tac de péremption et la certitude brève mais répétitive que l'on se paie sa fourrure pour le convaincre qu'il est le Roi de la jungle, le libérateur immortel, le guerrier qui, après être descendu de la montagne, peut la déplacer là où il veut et accueillir les puissants de ce monde comme des pique-assiettes ou des amuse-gueules diplomatiques.

D'où, à la fin, l'ambivalence tenace entre le mépris pour les siens, la dépendance envers eux, le besoin de faire l'histoire, la certitude qu'il n'en reste que la géographie et le sentiment d'être appelé et attendu sans être compris et aidé. D'où l'envie d'être réélu chaque matin et celle de jeter tout le monde dans la poubelle en fin de journée. D'où la solitude d'être le Roi des moutons et la fatigue d'être le Père d'enfants invertébrés.

A la fin, il faut comprendre le bonhomme : ce n'est pas sa faute s'il ne voit que des tapis rouges là où nous ne voyons que des dos-d'âne. Eternellement, ce pays a aimé attendre ses Présidents, les faire grossir avec de l'air pour mieux les manger en quelques minutes. Il faut lui pardonner ce sourire condescendant qu'il promène entre les wilayas au spectacle d'un peuple qui l'amuse modérément et qui semble parfois l'attendre comme avant 1954.

Il y a des illusions féroces qui vous font croire que vous êtes le Père d'un peuple alors que vous êtes à peine son lointain parent !
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