Article très intéressant
La Science fissurée
par Jamal Mimouni *
Encore une fois, avons-nous eu à subir les explications sidérantes d’un Bonatiro sur la secousse tellurique du vendredi 6 juin dans la région d’Oran, comme lors de chaque catastrophe naturelle dans le passé.
Ainsi, Le Quotidien d’Oran a « gratifié » ses lecteurs en première page de son édition du Dimanche 8 juin d’un article sur le phénomène et dont l’exégèse, présentée par M. Bonatiro, relève de la plus pure affabulation du point de vue scientifique.
Bonatiro et ses théories personnelles
Il se trouve que ses explications mises en avant pour « expliquer » le séisme sont ses explications basées sur ses propres théories et non celles communément admises par la communauté scientifique. Le problème est que ses théories n’ont été publiées dans aucun journal scientifique et donc n’ont pas été validées. Nous voudrions rappeler au lecteur le fait suivant : la validation d’une théorie scientifique est un long processus qui passe par la publication de résultats dans des revues spécialisées avec comité de lecture, suivi de larges débats entre spécialistes (peer’s review) jusqu’à l’obtention d’un consensus qui constituera, selon la terminologie kuhnienne, la science normale. Il n’y a pas de raccourci à ce long et laborieux processus, et le nombre de coupures de journaux sur une théorie donnée, même si en nombre astronomique, ne compte strictement à rien pour l’obtention d’une telle reconnaissance! Il aurait été de la plus grande importance pour le bénéfice du lecteur que le caractère personnel des explications soit mis en exergue et que, pourquoi pas, d’autres avis plus conventionnels soient faits mention.
Bonatiro et l’épreuve de physique du bac 2008
Revenons, en quoi ce qui est présenté comme « faits » sont problématiques. Laissons de côté le rôle salvifique du « Murdjadjo » quant à l’ampleur du séisme mis en avant par Bonatiro que je laisserais aux spécialistes en séismologie le soin de commenter dessus si nécessaire, et concentrons-nous sur ses explications ayant trait à l’astronomie. Ainsi parle-t-il de « configuration astrale » particulière et de « conjonction entre le Soleil et les planètes Mercure et Vénus » qui auraient affecté la Terre et « contribué à la libération de l’énergie tellurique accumulée au niveau de la zone d’Oran ». Il parle de plus de la lunaison du 3 juin qui, selon lui, comme les lunaisons, est « propice aux activités sismiques ». Or, de telles considérations à fort relent astrologique sont en porte-à-faux avec les lois de la physique et en particulier les lois de Newton de la gravitation universelle, et un pied de nez à nos postulants bacheliers qui affrontent l’épreuve bien réelle de physique au bac ces jours-ci. En effet, un calcul élémentaire à leur portée démontre que l’influence de Mercure et de Vénus sur la croûte terrestre est parfaitement négligeable par rapport à nombre d’autres influences. De plus, les lunaisons et autres phases sont des phénomènes d’ombre et n’ont aucune influence physique (à part l’effet bien connu des marées qui est quotidien, touche les régions côtières à façade océanique notamment, et est maximal lors des alignements Lune-Soleil), sauf si M. Bonatiro invoque l’action de forces à distance autres que celle de la gravitation et inconnues des physiciens. D’ailleurs, ces nouvelles lunes se succèdent à raison de 12 par an, et si elles sont invoquées pour ce mois de juin, pourquoi pas pour les autres mois ? Il est clair que ces considérations relèvent du délire astrologique le plus pur et n’ont rien à voir avec la physique newtonienne et la science telle que l’on la pratique dans les Universités à travers le Monde. La science astrale d’un Bonatiro serait, d’ailleurs, la manière royale pour nos candidats pour se faire recaler au bac.
Bonatiro et les prédictions tous azimuts
M. Bonatiro est sollicité lors de chaque catastrophe naturelle, et il se prête si bien à ce jeu qu’il est devenu, pour l’Algérien moyen, le « prédicteur » universel. Aussi, attend-on son avis pour connaître le début du mois du Ramadhan, le prochain séisme, la pluie et le beau temps. Ses prédictions incorrectes sur les croissants lunaires, ayant déjà été largement reportées dans les média2, contentons-nous de celles sismiques. Disons d’emblée qu’il faut une sacrée dose de culot pour parler comme il le fait dans son article « de retour d’activité sismique en 2008 » quand tous les spécialistes mondiaux considèrent, à l’heure actuelle, que toutes les corrélations causales proposées sont trop faibles pour être conclusives. En d’autres termes, nous ne savons toujours pas aujourd’hui prédire l’activité sismique à court terme. Puis, lier comme il le fait ces événements géophysiques avec l’activité solaire et son cycle de 11 ans ou les conjonctions lunaires dépassent les bornes du raisonnable tout en marchant sur les plates-formes de l’astrologie. Le fait est que la Terre tremble constamment à travers le Monde sans se soucier de la phase de la Lune ni du jour de l’année. On pourra consulter, avec profit, un des sites se séismologie pour s’assurer de ce fait. Il est clair que ces « prédictions », non confortées par les faits, relève de la plus pure mystification.
Bonatiro le spécialiste en tout...
Un autre point de contention avec la science très spéciale de Bonatiro à fortes implications psychologiques est cette propension à se positionner comme un spécialiste en tout, surtout lorsqu’il s’agit de catastrophes naturelles. Ainsi, celui qui est présenté comme un astrophysicien imminent, se projette-t-il sur la scène médiatique depuis le séisme d’El-Asnam jusqu’à celui de Boumerdès et maintenant d’Oran, les vagues de froid et de chaleur, les inondations, la vague marine de Sidi Bel-Abbès de l’été dernier. Bref, nous avons affaire à un géophysicien, un séismologue, un météorologue, un expert en courant marin puis, plus récemment, un expert en génie civil et béton armé, spécialiste en architecture du parasismique, sans compter qu’il se présente comme spécialiste des techniques spatiales, et astronome, notamment son expertise sur les croissants lunaires. Notons que malgré son titre dont il est affublé, n’a-t-il jamais commenté semble-t-il un quelconque évènement astrophysique (La récente découverte de la plus brillante Supernova dans notre Univers, les GRB et leur explication, les exoplanètes...).
Bonatiro l’inventeur...
Malgré toutes ses expertises, M. Bonatiro n’a, semble t-il, comme seule reconnaissance internationale que celle d’avoir obtenu des médailles d’inventeur (Le qualificatif est de lui). Maigre consolation pour celui qui est présenté par nos médias comme l’enfant prodige de la science algérienne. Or, ces inventions primées à des foires d’inventeurs, notamment en Grande Bretagne pour Bonatiro, ne sont souvent que des attrape-nigauds où se côtoient le burlesque avec le cocasse : un ventilateur de chapeau marchant à l’énergie solaire, un balai pliant qui tient dans la poche... Encore faut-il manier Google avec une dextérité particulière pour trouver les sites où il est fait mention de ses « inventions » ! Que celui qui doute de cela, s’y essaye. Et puis décodons un peu les choses; le terme d’inventeur, même s’il procède d’une lignée illustre avec les Edison, Bell, est devenu au fil des années bien péjoratif. Ces foires aux inventions, sauf pour celles organisées pour les plus jeunes du type « Young Inventors Fair », sont devenues trop souvent des rassemblements pour flatter l’ego de doux dingues en mal de reconnaissance, et où il faut payer le prix fort pour avoir sa place à ces amuse-galeries modernes ou toutes les soumissions sont acceptées...
Bonatiro ou l’éclipse ...
de la communauté scientifique nationale
Non, la science algérienne, Dieu merci, n’est pas représentée par Bonatiro, même si certains de nos médias semblent vouloir en faire « Mr Science ». Le fait d’avoir M. Bonatiro comme seule et unique référence pour tout ce spectre de disciplines scientifiques, allant du Cosmos au tréfond de la Terre en passant par la résistance des matériaux, n’est-il pas en soi un terrible acte d’accusation à la face de la communauté scientifique nationale ? Pourtant, combien compte-t-elle, malgré certaines zones d’ombre, de scientifiques excellents et de groupes de recherche ayant achevé une notoriété mondiale ? A la décharge de nos médias, le fait que la communauté scientifique est trop souvent peu communicative et peu impliquée dans les débats de société, et qu’il s’agit souvent pour les journalistes de les traquer, puis ensuite de pouvoir distinguer l’ivraie du bon grain, enfin d’en extraire l’information rendue intelligible pour le lecteur moyen.
Que l’on ne se méprenne pas sur nos propos, M. Bonatiro a le droit d’avoir ses propres théories et même de les diffuser alors même qu’elles n’ont pas été validées par la communauté scientifique; il se doit, cependant, d’avoir l’honnêteté intellectuelle de les présenter comme ses propres théories. Les médias ont le devoir de rappeler cette distinction entre théories personnelles et théories faisant l’objet d’un consensus, et surtout de ne pas se substituer aux institutions scientifiques pour les « imposer » au public alors même que le processus de validation n’a pas eu lieu.
La question, pourquoi les explications conventionnelles n’ont-elles que peu droit de cité est un problème plus profond lié, à mon avis, au manque de professionnalisme de nos médias quand il s’agit d’actualités scientifiques et ultimement au manque de culture scientifique de notre société.
* Professeur au département de physique
à l’Université Mentouri de Constantine.
Directeur de l’Ecole Doctorale d’AstrophysiquePrésident de l’Association Sirius d’Astronomie
Vice-président de l’Union Arabe des Sciences de l’Espace et de l’Astronomie
Voir par exemple le site du U.S. Geological Survey : http://earthquake.usgs.gov/
Voir notre article: « Quelle Langue pour la Diffusion de la Culture Scientifique en Algérie ? » J. Mimouni, Le Quotidien d’Oran, 4 Décembre 2001.