"Qu'est-ce que cet ordre révolutionnaire au nom duquel se commettent les inégalités, les infractions à la loi, les violations de la Constitution, les atteintes aux droits de l'homme et les actes arbitraires qui traduisent le mépris du pouvoir pour les libertés individuelles et collectives les plus essentielles ?
(...)
Quand à la bureaucratie algérienne, Monsieur le Président, Messieurs de la Cour, elle constitue la classe la plus incohérente, la plus irresponsable, la plus incompétente et la plus improductive qui ait jamais existé. Aussi paradoxal que cela puisse paraître, cette bureaucratie tire toute sa force de l'anarchie, de la pagaille et de l'arbitraire.
Cela n'est pas un hasard. La bureaucratie qui fonde le régime actuel est historiquement constituée par les franges les plus opportunistes de la société algérienne.
Le népotisme, le " piston " deviennent la règle. Pour se maintenir, les hommes honnêtes doivent aussi chercher les bonnes grâces de l'une ou de l'autre des féodalités politiques qui sont les piliers du régime.
Composée d'opportunistes et de sectes, la bureaucratie algérienne s'est constituée de classes parasitaires, je dirais presque clandestines. Elle est obligée, pour cacher sa fonction parasitaire et anti-sociale, de s'approprier les mots d'ordres des masses pour mieux les discréditer.
L'administration centrale tourne à vide aux bruits des ronronnements démagogiques et des fanfaronnades.
Au nom du socialisme, on confisque la voiture ou la villa du voisin.
Au nom du socialisme, on épure tel fonctionnaire qui en sait trop sur ses supérieurs ou sur les notables du FLN qui ont une conception égocentrique de prééminence du Parti.
Au nom du socialisme, tel ministre est obligé de choyer ses subordonnés parce qu'à tout moment. ils peuvent le salir dans des rapports de police.
Au nom du socialisme, on arrête des députés, on saisit ou on dessaisit la justice sur un simple coup de fil, au profit du cousin et au détriment de l'adversaire.
Au nom du socialisme, la bureaucratie algérienne décrète l'abolition des Droits de l'Homme et du Citoyen, supprime les libertés individuelles et viole la légalité qu'elle a pourtant confectionnée elle-même. "
Suite du discours de Ait-Ahmed à la Cour de sûreté d’État en 1964
Le discours est un peu long, je vous conseille de l'imprimer et de le lire à tête reposée. Quelle que soit l'avis que vous avez sur Ait Ahmed, essayez de le lire en toute objectivité, et mesurer l'audace et le courage de le dire à cette époque. Ce discours constitue un témoignage de ce qu'était (déjà) l'Algérie à quelques mois de l'indépendance. Tout s'est joué pour nous à cette époque. Si nous ne comprenons pas notre passé, si nous nous mentons, il ne reste qu'un miracle, après les nombreux qui ont fait que nous n'avons pas complètement sombré, pour nous maintenir encore, mais pour quelques années seulement!